dimanche 26 septembre 2010
Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009)
jeudi 23 septembre 2010
La fille du bois maudit (The Trail of the Lonesome Pine, Henry Hathaway, 1936)
L'histoire explore un thème récurrent du cinéma américain, à savoir la rencontre entre la nature et la civilisation - et ce qui en résulte. La nature est ici incarnée par June Tolliver (la délicieuse Sylvia Sydney) et sa famille de hillbillies coupés du monde et plongés depuis des temps immémoriaux dans une guerre sanglante contre leurs voisins, les Falin; la civilisation vient bousculer tout cela sous la forme d'une voie ferrée et de son séduisant ingénieur, Jack Hale (Fred
McMurray) Si les deux cultures semblent raisonnablement s'accorder dans un premier temps, les choses se gâtent très vite comme la civilisation commence d'exercer son influence "délétère" sur le clan Tolliver, June surtout qui, bien que fiancée à son cousin Dave (Henry Fonda) lui préfère de plus en plus Jack Hale, et se met à rêver d'émancipation. Mais c'est l'ingérence de Hale dans le conflit entre les Tolliver et les Falin qui précipitera la tragédie...
Le film est également une méditation sur la violence, son absurdité et son coût humain exorbitant. June naît littéralement au milieu du champ de bataille (admirable prologue) et la haine que se vouent les deux familles, à force d'exclure tout autre sentiment, les maintient dans
la misère, voire une certaine forme d'animalité: tout ce joli monde est analphabète, signe les contrats d'une simple croix et ne reconnaît un chèque qu'au logo de la compagnie ferroviaire qui y figure. Dans un tel contexte, il n'y a guère de place pour la beauté (les papillons sur lesquels on s'exerce au lancer de couteaux) ou l'intelligence: la scène qui résume le mieux le propos du film est celle de la mort du petit Buddie Tolliver - qui rêve de devenir ingénieur et a commencé d'apprendre à lire - victime d'une bombe posée par le plus dégénéré des fils Falin. Même l'amour maternel (bouleversante Beulah Bondi) est impuissant à mettre fin au carnage. L'opposition entre nature et civilisation, je l'ai dit, est un thème cher aux cinéma américain, mais elle ne tourne pas ici à l'avantage de la première, quand bien même le film reconnaît l'impossibilité de la dompter entièrement(June, malgré son bref passage en ville, retourne "à l'état sauvage"après la mort de son frère)
Hathaway joue remarquablement du contraste entre ces ténèbres humaines et la beauté luxuriante du décor, admirablement filmé et photographié. Ceux qui pensent que le Technicolor est nécessairement artificiel et criard (ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose, mais
passons...) gagneraient à regarder ce film aux couleurs magnifiques et surtout naturelles, au point qu'il faut parfois se pincer pour se souvenir que le film date de 1936, et que le procédé n'en était encore qu'à ses balbutiements. L'interprétation est d'un très bon niveau, mais c'est le tout jeuneot Henry Fonda qui se distingue par son jeu très moderne, tout en non-dits et en retenue. On sent déjà pointer la grande star qu'il deviendra quatre ans plus tard.
jeudi 27 mai 2010
Regeneration (Raoul Walsh, 1915)
Regeneration est le premier film de Walsh, qui avait fait l'acteur quelques mois auparavant dans Birth of a Nation; c'est également l'ancêtre d'un genre, le film de gangsters, qui marquera les années vingt à quarante - et dont Walsh réalisera quelques uns de plus beaux fleurons. L'argument est relativement simple, et tient dans le titre: un jeune homme, Owen (interprété avec une modernité stupéfiante par Rockliffe Fellowes) que la misère et le manque d'amour ont poussé hors du droit chemin est "régénéré" par l'amour d'une jeune fille. C'est le traitement qui fait tout l'intérêt historique et artistique du film; on comprendra mieux pourquoi en comparant l'approche du débutant Walsh à celle des plus expérimentés Griffith et Feuillade.
Ce qui frappe tout d'abord dans Regeneration, c'est son absence de romantisme et de sentimentalité, du moins selon les standards de l'époque. Walsh, contrairement à Griffith, ne donne pas dans le pathos édifiant. La misère, la violence sont filmés frontalement, sans chercher à ménager le spectateur. Les scènes de l'enfance d'Owen sont remarquables à cet égard, et encore très éprouvantes un siècle plus tard. Le Bowery vu par Walsh est un enfer à ciel ouvert peuplé de mendiants, de gouapes, de brutes ivrognes et de gamins abandonnés à leur propre sort qui vivotent entre la rue, les bouges et des logements crasseux; que Walsh ait choisi de tourner sur les lieux mêmes ajoute encore à l'aspect documentaire du film et à son impact. Cette recherche du "détail vrai" rapproche Walsh de Feuillade qui avait tourné plusieurs scènes de son Fantômas dans la zone, et fit grand usage du Paris désertifié par la guerre dans ses Vampires.
Sur le plan formel, Walsh s'inscrit clairement comme disciple de Griffith, dont il reprend et prolonge les expériences sur le cadre et la lumière, mais en les intégrant à un projet et une vision tout à fait personnelles. Il ne s'agit pas pour lui d'agrandir, de magnifier les personnages ou le décor mais d'en saisir l'essence, et d'impliquer le spectateur. Même s'il manifeste un souci de recherche visuelle que l'on associe rarement à Walsh - sans doute parce qu'il optera dès son arrivée chez Warner pour une mise en images plus nerveuse, plus fonctionnelle - Regeneration est un remarquable exemple de cinéma américain premier, par opposition à celui plus teinté d'influences étrangères qui se développera à partir des années vingt.
Mais c'est sur le plan de l'interprétation que Regeneration est le plus remarquable, et le plus moderne. La direction d'acteurs walshienne est complètement exempte de l'emphase mélodramatique qui rend certaines scènes de Birth of a Nation ou Intolerance assez difficiles à supporter en gardant son sérieux - tous ces tics que Feuillade qualifiait dédaigneusement de "vieux ciné". Walsh demande - et obtient - de ses acteurs des interprétations aussi nuancées et naturelles que l'époque et les limitations du medium le permettaient. La jeune héroïne en particulier n'est pas une créature éthérée telle que Griffith les affectionnait, et annonce les futures égéries walshiennes - des femmes indépendantes, dont l'obstination n'a rien à envier à celle des hommes, et qui ne s'abaissent jamais devant eux.
En bref, Regeneration est un film qui justifie pleinement la petite heure de votre vie que vous lui consacrerez, et vous la rendra au centuple. Un bon moyen aussi de remédier à certaines idées reçues sur le cinéma de cette époque.